La  Savoie

  

                                                                      

 
 
 

CONFERENCE -  DEBAT DU 25 SEPTEMBRE 2007

Professeur Costentin

Salle Jean Renoir Chambéry



                        LE CANNABIS

UNE DROGUE PAS DOUCE DU TOUT

Ses dangers physiques et psychiques 

Le Professeur Jean Costentin


 

Jean COSTENTIN est professeur de pharmacologie,Directeur de l'unité de neuro-psycho-pharmacologie du CNRS de Rouen, Directeur de l'unité de neurobiologie clinique du CHU de Rouen et Membre des Académies Nationales de Médecine et de Pharmacie. Il est intervenu devant une assemblée de près de 300 personnes.



La France est en tête des pays européens pour la consommation de cannabis: 1 million de Français sont des consommateurs réguliers (tous les 2 ou 3 jours) et parmi eux 500 000 de plus de 12 ans en consomment quotidiennement.

  Fini le petit joint de 1968 qui faisait «planer». Les manipulations génétiques et les modes de culture ont multiplié par 10 la concentration en THC, Tétra-Hydro-Cannabinol, substance aux effets psychotropes du chanvre indien.

  Le THC se caractérise par une exceptionnelle lipophilie. Il va se dissoudre dans les graisses cérébrales, dans les membranes neuronales. Il lui faudra beaucoup de temps pour en repartir.

                                                       «Un joint c’est une semaine dans la tête,
                                                               des joints ça perdure des mois»

  La voie respiratoire a la faveur des consommateurs:

-soit qu’ils fument la plante elle-même: c’est la marijuana, l’herbe.

-soit qu’ils recourent à la résine mélangée à divers ingrédients: c’est le haschich, le shit. Une limite est imposée à la vitesse de grillage d’un pétard: c’est le réchauffement de la cavité buccale opérée par les fumées inhalées.

-Le recours à la technique de la pipe à eau, le bang, permet d’échapper à cette limitation. Elle serait utilisée par un tiers des consommateurs. C’est 4 litres d’air refroidis par l’eau et chargés de THC qui envahissent les poumons en une seule aspiration. Un véritable tsunami entraînant des effets semblables au «» ou au «» avec délire et hallucinations.

 

 

Cannabis, cognition et échec scolaire

 ► Le cannabis est surtout consommé à l'âge des activités éducatives. Or, lors d’usages chroniques, le cannabis  engendre la démotivation. Il érode les ambitions,  amenuise les projets,  fait remettre à plus tard leur mise en œuvre. Il isole du monde réel, du pragmatisme, du raisonnable Il donne le sentiment de comprendre le monde, de le dominer même, en soulignant toutes ses vanités, ce qui fait bientôt évacuer le désir de participer à l'épreuve.

L’ébriété cannabique présente des analogies avec l’ivresse alcoolique. Elle défocalise l’attention. Le sujet est ailleurs et, en fait,souvent nulle part. Ce sont alors:

 - les fausses interprétations

 - les «rires bêtes»

 - l'émergence d'idées baroques, inadaptées,

  - une fuite de la  complexité

 - l'incapacité à expliciter et à comprendre les concepts

 - l'impossibilité de démonter un syllogisme

 - des perturbations des fonctions de calcul

 Le cannabis donne une vision plus cinématoscopique et même plus « trois dimensions» des situations. Cela accroît les sollicitations à diriger plus qu’à fixer son attention sur des éléments de faible importance, des broutilles.

 Il s’agit là des effets aigus du cannabis sur la cognition. Il existe d’autres effets qui se prolongent au-delà de la période de quelques heures de ces manifestations. Ce sont en particulier des perturbations de la mémoire à court terme, de la mémoire opérationnelle, de la mémoire de travail Un joint «seulement» le samedi soir aura un certain retentissement sur les performances cognitives de toute la semaine suivante.
                                                                          
«Joint du matin, poil dans la main,   

       pétard du soir, trou de mémoire»   

 Il faut néanmoins bien noter qu’après un sevrage de 3 à 6 mois, les traces de THC sont éliminées et le cerveau est à nouveau prêt à fonctionner normalement. D’où l’intérêt de motiver le jeune «» à se tenir à un sevrage complet.

 

Cannabis, anxiété et dépression

  Quand l'itinéraire d'un anxieux, adolescent, croise le cannabis, le piège se referme. Il ressent en effet, à son usage, un apaisement, une détente, que très naturellement il apprécie. Il y retourne. L'usage se répète et devient bientôt abus. C'est alors la spirale, la course effrénée entre la dose et l'effet. Et l'anxiété de réapparaître, plus intense parfois qu'elle n'était avant la rencontre avec le cannabis.

   Simultanément à l’accroissement de la consommation de cannabis chez nos jeunes, on assiste à une aussi inquiétante augmentation de leur suicidalité.

   Des enquêtes en milieu scolaire et à l’occasion de la journée citoyenne ont révélé que l’humeur dépressive et les tentatives de suicide sont significativement associées à la consommation régulière de cannabis.

 

 Cannabis et psychoses

  C'est pendant l'enfance et l'adolescence que s'édifie le psychisme de l'adulte. L'enfant doit rompre avec le monde imaginaire qui marque cette période de la vie. A l'heure d'entrer dans le réel, la consommation d'un toxique comme le cannabis, aux effets onirogènes est spécialement malencontreuse car il accentue ce qui devrait disparaître.

   Délirer, c'est sortir du sillon de la pensée normale. Il pourrait exister un apprentissage du délire chez celui qui n'a pas encore gravé les sillons profonds de la pensée normale. L'usage répétitif du cannabis, les délires et hallucinations à répétition, à ce stade très sensible de l'édification de l'appareil psychique, est évidemment de nature à perturber durablement son fonctionnement.

  Plusieurs études confirment cette analyse:

  Des néo-zélandais  ont suivi sur 6 ans une cohorte d’un millier de jeunes qui avaient débuté leur consommation de cannabis entre 12 et 14 ans. Ils les ont comparés à d’autres qui, pour les uns avaient abusé  plus tardivement de cette drogue et pour d’autres encore n’en avaient encore pas consommé. Le constat fut édifiant:10% des premiers avaient sombré dans la schizophrénie; 2 à 3 % de ceux du second groupe les avaient rejoints et, dans le groupe des non-consommateurs, cela concernait 1%.(ce qui correspond à la moyenne de la schizophrénie dans la population générale)

    Les conclusions d'une enquête suédoise portant sur 50 000 conscrits suivis de 1969  à 1983 sont claires:qui avaient fumé plus de 50 joints avaient un risque 6 fois plus élevé de devenir schizophrènes.

   Une société sans cannabis compterait 13% de schizophrènes en moins. En France, cela représente 78000 personnes.

   On a observé encore que la poursuite de la consommation lorsque la schizophrénie est déclarée a pour effet de créer un résistance au traitement ce qui se traduit par une augmentation de la durée moyenne des hospitalisations ainsi que du nombre des tentatives de suicide

 

Cannabis /tabac/ alcool

 Le cannabis est porté sur les épaules  du tabac comme vecteur de consommation( résine égrenée dans le tabac: joint) et comme correcteur des effets sédatifs

    Les associations de drogues ont souvent pour effet de corriger les désagréments causés par l’une grâce à certaines propriétés de l’autre. Le tabac palie les effets sédatifs du cannabis, mais les durées d’action du THC et de la nicotine  étant très différentes, .il faut plusieurs cigarettes pour compenser et tenir en éveil après un joint.

 ► L’alcool et le cannabis sont psycholeptiques et sédatifs. Leurs effets se potentialisent., comme le met en évidence l'épreuve du rota rod avec des rongeurs:

-une alcoolémie de 0,5g/l n’a pas d’incidence sur les performances de l’animal.

-quelques dizaines de microgrammes de THC par kilogramme de poids corporel non plus.

-les deux drogues associées à des doses infra actives de chacune d’elles entraînent la chute de l’animal.

   Ce phénomène est particulièrement dommageable pour la conduite automobile. C'est ce qui arrive aux jeunes qui «sortent en boîte». Conscients du fait qu'ils devront reprendre leur voiture ou leur moto pour le retour, sagement il ne  boivent qu'une ou deux canettes de bière et fument un pétard à trois. Cela ne fait pas grand-chose par personne mais, sur le chemin du retour, c'est le drame.

  Voici  les conclusions d'une étude française effectuée sur 11 000 conducteurs impliqués dans 7 500 accidents mortels:

  a/ 9 % sont positifs au cannabis

  b/ le cannabis double le risque d’être responsable d’un accident mortel alors que l’alcool le multiplie par 8,5 .Or si on ramène ces résultats aux tranches d’age des consommateurs , on arrive au même résultat quant à la dangerosité .

  D’autre part on sait que les effets du cannabis perdurent au-delà du temps pendant lequel il est détectable dans le sang.

  c/ le cocktail alcool+cannabis  multiplie le risque par 14.

 

Le cannabis incite à la consommation d'alcool. Une expérience de laboratoire révèle que les rats soumis à des injections de THC se dirigent spontanément vers l'alcool alors que les autres prèfèrent l'eau

  Un certain nombre de fumeurs de cannabis renoncent à cette drogue vers 25-30 ans. C’est dans cette même période que s’envolent les chiffres de l’intempérance alcoolique. A cette période de leur vie, ces personnes sont souvent engagées dans un processus familial et une activité professionnelle. Elles ne peuvent plus gérer ces deux drogues simultanément. Faute de vouloir renoncer aux deux, elles choisissent l’alcool. parce que c’est une drogue licite, disponible à prix modique, à toute heure du jour, voire de la nuit.

  Rappelons que l’alcool tue chaque année dans notre pays au moins 25 personnes et qu’avant cela elle détruit psychologiquement, familialement et professionnellement ses victimes.

Cannabis et héroïne

    L'héroïne est à juste titre présentée comme le point culminant de la toxicomanie. 150 000 français y recourent, à moins qu'ils ne bénéficient des drogues de substitution (Subutex ou méthadone). Tous sont passés par le cannabis.

    On a toutes les raisons de penser que le fait de stimuler intensément les récepteurs CB1 par le THC facilite le développement de la dépendance à l'héroïne. On comprend alors pourquoi celui qui a abusé du cannabis et qui s'approche de l'héroïne, en perçoit plus intensément les effets appétitifs. Cela l'incite a y revenir plus vite, plus souvent et à plus fortes doses.

    S’il n’y avait qu’un message à faire passer auprès des jeunes, le voici:

 

Ne fumez pas de cannabis.

Si vous en fumez, arrêtez!

Si vous n’arrivez pas à arrêter ,

 n' approchez pas de l'héroïne!


Dangers physiques

Cette partie développée dans son livre n’a été qu’évoquée par le Professeur lors du débat .

Toxicité cardio-vasculaire

-hypotension en position debout

-hypertension en position couchée

-augmentation du risque d’infarctus

-augmentation du risque d’artérite

 Toxicité broncho-pulmonaire

- Des cancers buccaux, laryngés, sinusiens, bronchiques et pulmonaires  apparaissent ,notamment chez des sujets  de moins de 40 ans, plus souvent chez des fumeurs de cannabis que chez des fumeurs de tabac

- L’irritation des voies respiratoires  rompt la  ligne de défenses antibactérienes et antifongicides et fait le lit de ces infections

 Toxicité sur les fonctions de reproduction

-Perturbation de la spermatogenèse chez l’homme et du cycle ovulatoire chez la femme

-L’usage intense et chronique diminue la libido. Au contraire, certains ados prétendent que le cannabis stimule leur libido. Outre qu’on puisse s’étonner qu’à leur âge, ils aient besoin d’être stimulés, on y voit plutôt l’effet d’une désinhibition. Celle-ci, jointe à des carences éducatives, paraît à l’origine de ces «tournantes» qui ont défrayé la chronique.

                                

                                                                                            *

    Baigner dans l'abondance n'est pas nager dans le bonheur. Cela désensibilise les capteurs dont la stimulation crée le plaisir.

   «Point trop n’en faut». On est passé des classes maternelles aux murs vides à la multiplication des images colorées. La vue, l’ouïe, le goût  des enfants sont hyper sollicités. Or quand les stimuli communs ne procurent plus de plaisir,on va les chercher dans des registres supérieurs.

  «Toujours plus, toujours plus fort» et c’est le recours à la drogue.

    Il faut rééduquer notre sensorialité, réapprendre à nous émouvoir d’une odeur, à nous délecter  d’un mets, à redécouvrir le plaisir du toucher, à nous pâmer d’une musique, à nous enthousiasmer d’un paysage, d’une fleur, d’un tableau… Ces grands plaisirs à petite mise, à petits prix donnent un sens supplémentaire à notre existence, ils ne s’usent pas.


«S’il est crucial de nous préoccuper de l’état de la planète que nous laisserons à nos enfants, il ne l’est pas moins de nous soucier de l’état des enfants que nous laisserons à notre planète» conclut le Pr Costentin dans la préface de son livre «Halte au cannabis» un ouvrage accessible et fort utile.


 


 
 



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